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La rencontre du collage avec la photographie

Le corpus de l’artiste belge Katrien De Blauwer, Les photos qu’elle ne montre à personne, est exposé lors des Rencontres de la Photographie à Arles du 4 juillet au 25 septembre 2022. À la lisière de la création plastique et de la photographie, les collages se détachent du refrain photographique des Rencontres. Un récit visuel et poétique qui s’est imposé à notre attention.

Le collage dans l’objectif

C’est la force de proposition de Katrien De Blauwer que l’on retient : « Disons que je suis une photographe sans appareil. La coupe est comparable chez moi au déclic de l’appareil photo.» Même si certains diront qu’elle n’est pas photographe, son travail s’élabore autour d’un sens du cadrage et d’une composition visuelle propre à toute écriture photographique. La question se pose : faut-il être photographe pour créer une production photographique ? Il faut croire que non. Née à Renaix en 1969, dans les Ardennes belges, Katrien De Blauwer a étudié la peinture, puis la mode, des études qu’elle a à chaque fois abandonnées. Par la suite est née une affection particulière pour ce mode d’expression singulier. La technique de collage est un art vieux de plus d’un siècle. Mais l’artiste se réapproprie la technique, loin des papiers collés cubistes ou de l’incongruité propre à l’influence surréaliste. Ses compositions sont obtenues par recyclage, découpage puis montage d’images prélevées dans des photographies en noir et blanc prises dans des magazines des années 1960 ou 1970. Photogrammes de films érotiques, silhouettes d’une mode aujourd’hui désuète, reportages de vedettes participent à l’esthétique vintage. Des surfaces vierges – papiers noirs, jaunis, de couleur uniforme – viennent se juxtaposer entre des lignes tracées au pastel, des éclaboussures de peinture ; le tout signé par une composition à la fois épurée et chaotique. On retient là un sens important de la juxtaposition qui agit comme révélateur d’une double position esthétique en quête de soi(s). 

Autofiction ou récit commun ?

Avec comme toile de fond une étude sur le genre et ses codes, l’exposition met l’accent sur l’impossibilité de s’identifier comme un individu figé. Le geste photographique recrée, alors même qu’il l’interroge, la notion d’identité. L’obsession pour la représentation du corps est marquée par des sous-entendus autobiographiques. Les traces traumatiques invitent à une plongée dans l’intimité de l’auteur. Les poèmes visuels s’éclairent les uns les autres, mais ils restent conjugués sur le mode de l’ellipse. C’est à la libre interprétation du spectateur de rétablir une partie manquante. Ironiques ici ou tragiques ailleurs, les allusions sont percutantes : un portrait scindé par le mot « fin » avec un buste et une tête tachés de rouge. Sans être l’auteur des photographies, De Blauwer intègre une histoire visuelle préexistante pour en dégager une identité distincte : entre monde intérieur et récit commun. Repose ici-même un talent qui tisse des histoires aussi personnelles qu’anonymes par une troisième voix. Si elle associe l’« auto-investigation thérapeutique » à sa démarche, elle dépasse largement le domaine du particulier. Triomphe une crise de nos représentations.

Le papier : un format qui reconquiert ses droits

Il est pertinent de souligner la littérarité dominante d’autant plus manifeste que, depuis 2014, Katrien De Blauwer publie sa création dans des ouvrages. Au sein de l’exposition, les collages sont encadrés dans un format avoisinant le A4 et se trouvent au centre d’un vaste passe-partout. Le caractère précieux, presque miniature des compositions, implique le besoin de se rapprocher toujours un peu plus près de l’œuvre. Lors d’une conférence durant la semaine d’ouverture, la question lui est ouvertement posée : « À l’avenir, vos collages se tiendront-ils aux papiers d’origine sans agrandissement ? » À cette question, elle n’évoque que son attachement au papier tel quel. Sur l’ensemble du corpus exposé, un agrandissement (autour du format A2) retient le regard. Un geste fort, faisant barrière à une manipulation numérique qui, on l’imagine, ne lui ressemble pas. À partir d’un découpage informe, le corpus rappelle avec originalité la diversité des moyens pour faire émerger une photographie.


Les Rencontres libératrices de regards

En cette 52e édition, Les Rencontres de la photographie d’Arles se sont déroulées du 4 juillet au 26 septembre 2021. Evénement phare du patrimoine photographique mondial, le festival met en scène la production de créateurs d’images issue de la sélection de l’année. Ce sont donc 112 000 âmes qui ont vibré au gré d’événements portant aux nues la photographie : vernissages, rencontres avec les artistes, conférences, signatures de livres, remises de prix, projections nocturnes et performances au théâtre. 

Malgré les conditions sanitaires, le festival a tenu à se produire en tant que source d’impulsion pour la création photographique contemporaine. C’est ainsi que l’urgence d’un présent soucieux de culture a façonné l’empreinte artistique autant chez l’artiste que chez le spectateur. Inscrites dans la lignée de regards porteurs de prises de conscience, les collections de cette saison ont mis en lumière le thème de l’identité et de ses enjeux. Plus nécessaire que jamais, comment la création d’images se charge-t-elle d’éduquer le regard ? Par quelle aisance bouscule-t-elle les présupposés ? De par son universelle beauté de l’instant, l’image capte et déploie l’immédiateté visuelle « qui vient nous questionner, pas forcément par ce que l’on voit, mais par ce que l’on comprend à travers le regard de l’artiste, ce qui s’y joue » admet Aurélie Lanlay, directrice adjointe des Rencontres. 

Au fil d’une trentaine d’expositions éclectiques : féminité, masculinité, couleur de peau, orientation sexuelle…, c’est l’alliage de la création contemporaine à la rétrospective des grands noms, tels que Sabine Weiss et Charlotte Perriand, qui réconcilie toutes les curiosités autour d’une même quête : interpeller sur le degré du monde. A déjouer toujours plus le principe de frontière, c’est doté d’une délicatesse, d’une sensibilité et d’un humour avérés que les créations naissent sous la signature d’artistes enclins à l’enchevêtrement des genres. De par un engagement sans compromis surgissent des harmonies toujours plus paradoxales, toujours plus inattendues. En effet, le travail The New Black Vanguard propose des images s’immisçant entre photographie d’art et de mode. Gravé dans de nombreux regards, le recueil de travaux Masculinité, libération de la vision a tissé une véritable réflexion autour de la masculinité : stéréotypes, rapports de force, statut social, homosocialité et homosexualité. Questionner les représentations acquises par une reconsidération des codes s’avère être le berceau de la crise identitaire soulevée par ce rendez-vous. Contre un désastre contemporain, le regard « désidéré » de Smith entre en connivence avec le cosmos au sein de l’exposition Désidération. L’exploration du non-manifeste désigne un parti pris pour une unité instinctive tissant de nouveaux rapports entre passé et avenir, art et science, non-humain et humain, mélancolie et désir. Enclin à la fluidité des représentations identitaires, le festival a en effet mis en premier plan de son affiche officielle une photographie de l’artiste Smith, un geste élogieux célébrant une grâce par-delà les genres. 

Si la tradition photographique repose sur le recul d’un objectif médiateur entre représentations du réel et réalité, désormais la photographie défend avant tout une latitude, une marge précieuse entre l’instantanéité du regard et l’élaboration de la pensée. C’est ainsi que l’ère visuelle actuelle, imprégnée d’une liberté certaine, entre en connivence avec la pluralité des espaces d’exposition. Lieux historiques et patrimoniaux du centre-ville, églises, ateliers de mécanique, supermarché, jardins municipaux, nombreux sont les lieux, parfois anodins, habités par l’effervescence artistique mise sous projecteurs. Plus encore, le basculement de l’image s’opère à travers l’interférence des formats, supports et techniques. Plasticité, photomontages, installations, dispositifs scéniques et narrations visuelles, ont été les moyens cristallisant l’expérience de l’image au sein d’élaborations toujours plus sophistiquées. 

Cette saison arlésienne si particulière aura donc été le berceau d’une polyphonie de récits poétiques et engagés, conjuguée à la promesse d’une inspiration créatrice pour de nombreux passionnés. En cette édition, c’est de plus belle le désir de libération de la vision qui, par la justesse des mises au point, atteste d’un médium photographique toujours plus apte à focaliser son objectif droit au cœur.


Le journalisme en quête d’un second souffle

Comment se porte la presse en France ? A cette question, la conférence de presse du 13 octobre au Club de la Presse de Lyon se fait l’écho des conclusions de l’enquête du cabinet Technologia. Et des préoccupations du Syndicat national des journalistes (SNJ). Celui-ci tenait son 104e congrès à Lyon du 12 au 14 octobre.

Cette nouvelle enquête du cabinet Technologia, spécialisé dans l’analyse des situations économiques des entreprises et la prévention des risques liés à l’activité professionnelle confirme les précédentes. L’étude met le focus sur un surmenage au travail, avec une charge qui s’accroit depuis 10 ans. Manque d’effectif, bouleversement du numérique, polyvalence forcée, pression hiérarchique, concurrence interne, nombreux sont les facteurs qui fragmentent la profession des journalistes. Là où le télétravail devient une échappatoire à la pression, ce sont des  méthodes de travail en mutation. Comment accepter le recours à l’isolement alors même que la quête de débat régit l’efficacité de l’exercice journalistique ?

Précarisation financière

Elle frappe de plein fouet les pigistes : 80 % des pigistes se disent affectés, avec un barème encore et encore diminué et un statut d’auto-entreprenariat imposé. Une véritable crise déontologique est également au cœur du problème lorsque 30% des journalistes en agences de presse ne vérifient pas leurs sources, faute de temps. Déjà au cœur de la difficulté du métier, la pression du temps contribue à l’engrenage de la précarité, elle-même traduite par un climat psychosocial appauvri. Entre banalisation des insultes, cyber-harcèlement, lynchage médiatique, violences sexuelles, l’exposition des journalistes à la violence est omniprésente.

Des issues plurielles

La conséquence est sans concession : fuite du métier, carrières avortées. Au sein de ce dévoiement de la chaine journalistique, l’éducation aux médias figure parmi les potentielles issues. Même si les interventions en établissement scolaire restent à consolider (manque de reconnaissance et rémunération par facture) et à étendre à d’autres structures qui pourraient en bénéficier. Certaines actions peuvent s’avérer efficaces. Chez Libération undispositif vise à écarter les fake-news et esquisse « la fierté d’un travail bien fait » chez les journalistes, souligne Emmanuel Poupard, Premier Secrétaire Général du SNJ. Alors que le journal lui, regagne la confiance de son lectorat. Afin de ne pas céder à la facilité de l’autocensure, des actions de prévention, de sécurisation se mettent en place. L’appui des ressources humaines et du management entre en ligne de compte. Quatre actions clés contribueront au dénouement de la crise : « soutien, anticipation, bienveillance et prospective », soutient Marion Deneulin, Responsable des Relations et du Développement du Groupe Technologia.

Un défi à relever

Plus qu’une profession, le journalisme a toujours été et restera une véritable vocation, mais les abus n’en sont pas pour autant permis. Aisé et acerbe, l’accroissement de la violence à l’égard des journalistes, n’est pas une solution à la défiance. Remettre les pendules à l’heure implique d’insuffler le gout d’une meilleure considération des acteurs de la presse. Comme le rappelle avec justesse Emmanuel Poupard « le droit à l’info est le pilier de la démocratie en France et dans le monde ».  Si « construire une fausse info est plus facile que la dénouer », s’empresse-t-il d’ajouter, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un savoir-faire unique propre à la technicité de journaliste.

Outre une presse démunie – entre un pluralisme avorté, une montée en puissance des radicalités et une course effrénée à l’audience – l’exigence sur la qualité de l’information urge. Sinon, c’est tout un rapport aux médias qui en sortira doublement défiant et écorché. Malgré une toile de fond incertaine, la profession suscite toujours les ardeurs des nombreux candidats qui se présentent aux concours des écoles de journalisme. Conscients de l’aventure périlleuse que représente le journalisme, les quelques étudiants de l’ICOM présents à la conférence entendent se focaliser sur le présent, et gravir les obstacles un à un. Une bataille à laquelle ils se confrontent dès les épreuves du concours, puis au fil de leur formation et surtout durant leur recherche de stage. L’avenir de la presse est entre leurs mains.